Quel périple !
Depuis Noël, je dévore ! Ok, c'est clair, pas que des nourritures spirituelles... Mais on ne parlera pas des choses qui fâchent aujourd'hui ;-)
Le dernier dévoré, c'est "Le Périple de Baldassare" de Amin Maalouf. Un journal intime -pas poignant comme le journal publié chez hélène ces derniers jours- d'un marchand gênois (enfin, faux gênois, puisqu'installé en Asie Mineure depuis quelques générations) qui poursuit une quête, celle d'un livre qui révélerait un centième nom de Dieu qui permettrait de passer entre les gouttes lors des différentes catastrophes annoncées pour l'année 1666. Un côté aventure, pour ce marchand un peu bedonnant et bon enfant qui fait le tour de la Méditerrannée, se retrouve à Londres lors du grand incendie. Beaucoup de réflexion : sur les différentes superstitions, sur les rapports humains, sur la religion bien entendu, ou plutôt sur les religions, sur le déracinement. Le style est agréable à lire, très propre, sans emphase. un style assez léger aussi : je me suis sans modestie aucune imaginée que j'aurais pu raconter un peu comme ça sur mon blog : des billets quasi quotidiens, avec des digressions, une certaine lucidité sur sa naïveté, des questionnements sur sa réflexion.
Moi qui ne relève jamais de citation, je lis bien trop vite pour cela, une phrase m'a interpellée et je vous la livre : "Les mots que l'on prononce laissent de smarques dans les coeurs, ceux qu'on écrit s'enterrent et refroidissent sous un couvercle de cuir mort." A contre-courant complet du fameux "les écrits restent, les paroles s'envolent"... Et pourtant pas faux pour autant.
j'ai aussi beaucoup apprécié la discussion entre Baldassare (chrétien) et son ami Maïmoun (juif) à propos des plus beaux principes du christianisme.
J'sui sympa, je vous la mets, mais en taille pas sympa pour les presbytes, mais sinon on va dire que je fais des billets longs longs longs...
Lorsque je dis, au
cours de l'échange, qu'à mon avis l'un des plus beaux préceptes du
christianisme était "Aime ton prochain comme toi-même", je remarquai
chez Maïmoun un rictus d'hésitation. Comme je l'encourageais, au nom de
notre amitié, et aussi au nom de nos doutes communs, à me dire le fond
de sa pensée, il m'avoua :
"Cette recommandation paraît, à première
vue, irréprochable, et d'ailleurs, avant même d'avoir été reprise par
Jésus, elle se trouvait déjà, en des termes similaires, au chapitre
dix-neuf du Lévitique, verset dix-huit. Néanmoins, elle suscite chez
moi certaines réticences ..."
"Que lui reproches-tu ?"
"A voir ce
que la plupart des gens font de leur vie, à voir ce qu'ils font de leur
intelligence, je n'ai pas envie qu'ils m'aiment comme eux-mêmes."
Je voulais lui répondre, mais il leva la main.
"Attends,
il y a autre chose de plus inquiétant, à mon sens. On ne pourra jamais
empêcher certaines personnes d'interpréter ce précepte avec plus
d'arrogance que de générosité : ce qui est bon pour toi est bon pour
les autres ; si tu détiens la vérité, tu dois ramener dans le droit
chemin les brebis égarées, et par tous les moyens ... D'où les baptêmes
forcés que mes ancêtres ont dû subir à Tolède, jadis. Cette phrase,
vois-tu, je l'ai plus souvent entendue de la bouche des loups que de
celle des brebis, alors je m'en méfie, pardonne-moi..."
"Tes propos
me surprennent... Je ne sais pas encore si je dois te donner raison ou
tort, il faut que je réfléchisse... J'ai toujours pensé que cette
parole était la plus belle..."
"Si tu cherches la plus belle de
toutes les religions, la plus belle parole qui soit jamais sortie de la
bouche d'un homme, ce n'est pas celle-là. C'est une autre, mais c'est
également Jésus qui l'a prononcée. Il ne l'a pas reprise des Ecritures,
il a juste écouté son coeur."
Laquelle ? J'attendais. Maïmoun arrêta un moment sa monture pour donner à la citation une solennité :
"Que celui qui n'a jamais péché lui jette la première pierre !"